L’Action Française

29 juin 1933

 

Anonyme

 

La Conversion de M. Gide

 

M. André Gide, par son adhésion à la doctrine des Soviets, veut bien souligner d'un trait de plus son caractère. Nous l'entendons répondre à ceux qui l’accusent d'être communiste que ce n'est pas plus difficile que d'être chrétien et ainsi mettre sur le même plan l’Évangile selon saint Luc ou saint Matthieu, à quoi il n’a jamais cru, et celui de Karl Marx qui ne lui inspire point de doutes.

 

On le sait, la faiblesse première de ces systèmes des nouveaux jours est de ne tenir aucun compte de la nature de l'homme et de poser, contre toute expérience et toute vraisemblance, qu'on obtiendra autant de travail si on limite le gain que si on laisse ce gain illimité, que le culte de la Cité, enfin, l’emportera dans le cœur du citoyen sur l’égoïsme personnel. Autant dire que l’on admet d'abord que l'homme ne sera plus homme ou sera un autre homme. Et les théoriciens recevant un peu de mystique dans leur cas l'entendent ainsi. On a pu voir M. Édouard Berth traiter de l'homme « prolétarien » comme d'un nouvel Adam et dresser l’image d'un monde sans aucun rapport avec le monde éternel et passé.

 

M. André Gide ne veut pas moins. « Vous avez fait de l'homme », écrit-il, « un être possédant, préférable à autrui, préoccupé surtout de détenir le plus possible de biens matériels ou d'argent. Nul doute que, si dès la première enfance, la possibilité de posséder plus qu'un autre lui est enlevée, ses plaisirs, ses ambitions, ses désirs s'en ressentiront. » Nous admirons la simplicité de cette pensée qu’on dit subtile, mais dont la subtilité, si à l'aise dans la malice et au moral, ne s'étend pas au social. Et nous ne voyons pas que les réalités de la puissance proposées au jeune Russe reluisent si fort au-dessus de celles proposées au jeune bourgeois.

 

Mais M. André Gide aspire à changer le monde. Il s'est mis à cette œuvre avant le bolchevisme même et nous avons dans une rencontre heureuse une des raisons de sa complaisance. Il a trouvé une occasion de s'accroître et de se prolonger à sa manière. « Avec le système économique », reprend-il, « ce qu'il importe de réformer, c’est l’homme même, et l’on ne reformera pas un sans l’autre. Aussi bien, aucune louange ne put m'être plus agréable que l’accusation de Massis qui, dès 1923 lançait ce juste reproche à mes livres : « Ce qui est mis en cause ici, c'est la notion même de l’homme sur laquelle nous vivons. » Et nous nous étions bien un peu doutés, lorsque M. André Gide venait, que c'était comme un autre Messie.

 

Il y aurait un volume à écrire sur l'extrême faiblesse de pensée de cet écrivain dont on a voulu faire un philosophe. Il établit ici, au scandale du logicien, une similitude entre deux objets qui n'ont de commun ni nature, ni essence, ni apparence. Le christianisme, si on l'envisage au seul regard d'ici-bas, demeure dans l’ordre moral et marque un renouvellement de la sensibilité. Mais, Révolution, il se subordonne à une Révélation, il situe son royaume hors de ce monde, il passe aux yeux de ce monde, de l'aveu même de son fondateur, pour une « folie ». Il fait appel à l'âme éclairée, possédée par Dieu. Le marxisme ne veut point d’âme, il poursuit Dieu avec ce ridicule abject dont nous sont venus tant de témoignages, il fait appel à la seule raison raisonnante et son premier point de foi est que la terre tient toute à la terre. Le beau parallèle que M. Gide est allé imaginer !

 

Nous ne goûterons pas davantage les lieux communs universitaires qu'il développe sur la collusion du catholicisme et du capitalisme. Il a sur les rapports de l'Église et de l'État des vues d'un accord parfait avec l'enseignement officiel de la troisième République, de toutes les Républiques. Ce non-conformiste est donc conforme en quelque chose. Mais ce que nous avons voulu retrouver dans sa confusion de foi, c’est lui-même. Il y est apparu ce que nous l'avons toujours vu. Il y a marqué un dernier aspect plus sensible, plus commun, plus pitoyable, de cet orgueil forcené, sous une apparence de mesure, par quoi il tient une place unique, il le lui faut concéder, dans l'éthique et dans l'esthétique de ces dernières années.